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Florence N
3 décembre 2008

Chez le docteur des enfants adoptés

Famille. Au CHU de Dijon, Jean-Vital de Monléon, pédiatre, soigne aussi les parents.

DIJON (Côte-d’Or), envoyé spécial JACKY DURAND

"Près de sa table d’examen, le docteur Jean-Vital de Monléon a accroché un planisphère avec des points de couleur désignant les pays d’origine des 1 400 enfants adoptés qu’il a reçus en consultation. Ce pédiatre du CHU de Dijon est à la tête de la plus importante des consultations d’orientation et de conseil pour l’adoption (Coca). Parmi les familles qui débarquent pour la première fois dans son cabinet, 5 % viennent pour un projet d’adoption, 50 % pour un bilan d’arrivée en France d’un enfant adopté et 40 % pour un problème précis. Le pédiatre les reçoit en évitant la stigmatisation et la banalisation de l’adoption. «La stigmatisation, c’est, quand un gamin travaille mal à l’école, qu’on se dit que c’est à cause de l’adoption. Mais il ne faut pas non plus nier que ce sont des enfants qui peuvent avoir vécu des souffrances antérieures à leur adoption.» Le temps d’un après-midi de consultation, rencontre avec ses jeunes patients et leurs parents (1).

MARIE, 5 ANS

Marie veut monter sur la table d’examen. «Tu es toujours aussi vive», constate Jean-Vital de Monléon, qui s’adresse à sa mère : «Avec son frère, comment ça se passe ?» «En ce moment, c’est chacun de leur côté. Son frère est hard. Elle est de bonne composition, elle se méfie aussi. Elle sait qu’il est capable de grandes colères.» Le médecin examine la petite fille. «Elle est immense. Il faut lui faire une radio de l’âge osseux. C’est une radio de l’os de la main.» Marie, née au Mali, est arrivée en France à l’âge d’un mois. Elle avait de gros problèmes d’yeux. Sa mère raconte : «On l’a emmenée dans un hôpital parisien. Un professeur nous a dit : "Un enfant adopté, on ne connaît rien de ses origines."» Jean-Vital de Monléon soupire : «La société est impressionnante de maltraitance vis-à-vis des familles d’adoption. Quand on dit à un enfant "ce ne sont pas tes vrais parents", c’est un déni de l’adoption, de la filiation.»

THOMAS, 12 ANS

C’est le tour de son frère Thomas. Il a été adopté en Côte-d’Ivoire. Il redouble sa sixième. Sa mère : «L’autre jour, j’ai dit : "On commence par maths et français." Ça ne lui a pas plu, il m’a tapé.» Le pédiatre : «Tu n’as pas le droit de taper ta maman.» Il poursuit : «A l’école, personne ne t’embête ? Tu n’as pas de réflexions bêtes ?» Thomas dit qu’il a «mal aux genoux». Le médecin : «Il a une puberté bien avancée. Il a le gabarit d’un gamin de 14 ans. Mais, dans sa tête, c’est 12 ans, peut-être moins.» Le pédiatre invite la mère à sortir du cabinet et s’adresse à Thomas : «Qu’est-ce que tu penses de tout ça ?» «A l’école, ça va», dit le gosse. Le pédiatre : «Et avec Marie ?» «On ne se voit pas trop», dit l’ado. La mère revient. Jean-Vital de Monléon résume : «Thomas, c’est une foule de petites choses. L’adoptionne joue pas beaucoup. La différence ethnique joue davantage, il a souffert de racisme. L’adoption est aussi un amplificateur du fait qu’il vit dans un milieu féminin. Thomas vous est très attaché. Plutôt trop que pas assez. Il y a aussi le fait que vous soyez institutrice, il ne faut pas que la mère et l’enseignante se confondent.» Thomas a été deux ans dans la classe de sa mère. «Ce n’était pas une bonne chose», explique le pédiatre. «J’ai un collègue super raciste, je ne voulais pas qu’il aille dans sa classe», justifie la mère.

ZOÉ, 8 ANS

Le pédiatre suit Zoé, 8 ans, adoptée en Ethiopie, pour une puberté précoce. «Cela concerne un enfant sur quatre à l’adoption internationale quand il est adopté entre 6 et 8 ans. La raison la plus probable, c’est le changement d’alimentation quand ces enfants sont passés d’un régime de carence à un régime d’abondance. Le risque, c’est qu’une jeune fille vienne me voir à 12 ans alors qu’elle est réglée depuis trois ans. Elle mesure 1,37 m et ne grandira plus, car cette puberté précoce a provoqué une croissance rapide qui a soudé les cartilages.» Jean-Vital de Monléon prescrit des piqûres pour freiner la croissance de Zoé. «Elle tousse souvent beaucoup», intervient sa mère. Zoé est arrivée en France il y a quatre ans. «Est-ce qu’on t’avait fait une petite piqûre sous la peau ? Je vous dis ça car en ce moment on a un petit Ethopien sur trois qui arrive avec la tuberculose.»

EMILE, 7 ANS ET DEMI

Emile a été adopté à 2 ans en Bulgarie. «Je le trouve plus agité qu’avant», constate Jean-Vital de Monléon. Emile chahute. «J’aime pas les hôpitaux.» Il ne veut pas que le médecin l’ausculte. «Si tu parles dans mon dictaphone, après, tu me laisses écouter gentiment ton cœur», tente le pédiatre. «Le problème de concentration est un problème majeur d’Emile, explique le pédiatre. Il faut canaliser son excitation sans l’assommer.» Un peu plus tard, le médecin seul : «Emile a des soucis de comportement. Ça ne ressemble pas à une fœtopathologie alcoolique [consommation d’alcool durant la grossesse, ndlr]. On a fait un gros bilan génétique, neurologique, on n’a rien trouvé. Ça ressemble à des carences affectives dont il aurait pu souffrir quand il était à l’orphelinat.»

Fin de la consultation. Le médecin devise : «L’adoption est souvent l’arbre qui cache la forêt» quand un enfant a des difficultés. Mais il constate aussi ce qu’il appelle «des erreurs de cigogne» : «Des enfants qui n’auraient pas dû être adoptés, car ils n’ont plus confiance en les adultes. Ils ont trop souffert.» Il y a également des parents «psychorigides» qui n’auraient jamais dû adopter : «J’ai vu une famille avec un ado portant la casquette à l’envers. Les parents me disent : "On l’a sorti d’un pays de merde, sa mère était une traînée. Maintenant, il nous ment, il nous vole." J’ai fait sortir l’ado, et je leur ai expliqué : "Quand vous lui dites qu’il vient d’un pays de merde, il se voit comme ça parmi vous."» Enfin, le pédiatre peste contre l’angélisme, et ces gens qui disent aux parents adoptants «c’est bien ce que vous faites» : «L’adoption n’est pas un geste humanitaire. C’est un désir égoïste.»

(1) Les prénoms ont été modifiés."

http://www.liberation.fr/vous/0101268867-chez-le-docteur-des-enfants-adoptes

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